Ici le temps fait une pause. Au grès d'une lecture, au hasard d'une inspiration fugace, les mots s'étirent pour accompagner l’humeur du jour, la rendre rêveuse, douce, ou profonde et réfléchissante.

Beauté des ruisseaux et des mousses, des fruits rutilants, des après-midi vermeils, des herbes hautes, des plumages et des élans, des odeurs et des nuages, beauté de celle qu’on nomme nature, faute de mieux, fautes de mots.

F.Pinsolle, "Gibiers".

Composition

Une fois sorti du véhicule il tourna son regard vers ce paysage. En face de lui les montagnes bleutées irradiaient une simplicité ensorcelante. Tout un relief en rondeur couvert de forêts ondulantes comme une crinière compacte et drue. Fasciné par ce tableau d’où s’exhalait une douceur ineffable Thomas gouta là une sérénité nouvelle, l’osmose des sens provoqués par une plénitude inexplicable entra en lui, pénétra son âme de citadin et déchira dans un frisson inavouable mais attendu ce qu’il avait été jusqu’à cet instant. Il respira à pleins poumons, le silence portait en lui la profondeur des heures heureuses dépouillées de toutes compromissions, ébarbées des éclairs aveuglants d’inutiles attentes nourries par nos désirs inconséquents, épuisant le contenu même d’un futur dès lors inatteignable. Dans cet univers au charme alcyonien il se sentit basculer dans une dimension inconnue. Ce monde lui plut, non par la force de la désolation dont certains paysages peuvent nous posséder malgré nous, mais par l’adhésion à un ordonnancement simple et évident. Tout semblait parfaitement à sa place, et lui, dans ce tableau d’un autre âge, s’intégrait dans cet espace sans devoir pousser ou arranger quoi que ce soit. Il sentit ses cicatrices se refermer. Honorine s’était levée, et l’observait. Elle s’avança pour l’accueillir, tout en lui tendant sa main, osseuse et déformée par le froid et les rhumatismes.


Gilles La Carbona


Extrait "Une cuillerée de miel"

Une fois sorti du véhicule il tourna son regard vers ce paysage. En face de lui les montagnes bleutées irradiaient une simplicité ensorcelante. Tout un relief en rondeur couvert de forêts ondulantes comme une crinière compacte et drue. Fasciné par ce tableau d’où s’exhalait une douceur ineffable Thomas gouta là une sérénité nouvelle, l’osmose des sens provoqués par une plénitude inexplicable entra en lui, pénétra son âme de citadin et déchira dans un frisson inavouable mais attendu ce qu’il avait été jusqu’à cet instant. Il respira à pleins poumons, le silence portait en lui la profondeur des heures heureuses dépouillées de toutes compromissions, ébarbées des éclairs aveuglants d’inutiles attentes nourries par nos désirs inconséquents, épuisant le contenu même d’un futur dès lors inatteignable.

Dans cet univers au charme alcyonien il se sentit basculer dans une dimension inconnue. Ce monde lui plut, non par la force de la désolation dont certains paysages peuvent nous posséder malgré nous, mais par l’adhésion à un ordonnancement simple et évident. Tout semblait parfaitement à sa place, et lui, dans ce tableau d’un autre âge, s’intégrait dans cet espace sans devoir pousser ou arranger quoi que ce soit. Il sentit ses cicatrices se refermer. Honorine s’était levée, et l’observait. Elle s’avança pour l’accueillir, tout en lui tendant sa main, osseuse et déformée par le froid et les rhumatismes.


Gilles La Carbona

Extrait "Une cuillerée de miel"

Le bonheur de retrouver le monde du spectacle l’avait sortie de ce marasme. Elle était entrée dans la partition, faisant sienne chaque note de musique, réglant sa respiration sur l’allure du mouvement vivant sous l’emprise même des images que la musique faisait jaillir en elle. Après chacune de ses répétitions, elle restait plongée dans l’obscurité, retrouvant le sens de sa propre existence à la source de ces ténèbres accueillantes. Vide de pensées, si ce n’est celles provoquées par la mélodie, elle revenait à sa réalité. À chaque fois elle puisait dans le plus profond d’elle-même l’intensité, la fougue et le désespoir pour rendre hommage à la musique, sublimer dans son interprétation le langage secret caché dans ce concerto.

L’émotion ne peut se révéler pleinement que dans une mise en danger de soi-même, se mettre à nu, forcer l’ouverture de ses portes mystérieuses pour s’exposer et crier au monde, un bonheur indicible où se mélangent le drame, la douleur et la fragilité des sentiments. Elle devenait cristal, prête à se briser pour que s’exprime la musique. Cette exaltation avait souvent inquiété Kristen sa jeune fille. À présent, elle comprenait et acceptait la transformation nécessaire de sa mère pour interpréter au plus juste une œuvre. Elle adorait l’écouter, la voir jouer, elle en frissonnait.


Gilles La Carbona

Nous avions besoin d’oubli, tous les deux, de gîte d’étape, avant d’aller porter plus loin nos bagages de néant.

Romain Gary, "Clair de Femme"

Extrait "Une cuillerée de miel"

Pour Honorine il était hors de question de quitter le Mas familial. Trop de souvenirs planaient ici, dans ses murs, dans ses collines environnantes. Les larmes de son enfance n’avaient pas fini de sécher même après toutes ces années. Partir aurait été pour elle tuer une seconde fois sa mère, fuir le lieu de sa dernière vision. Sa tendresse lui avait manqué toute sa vie. Elle ne l’avait jamais exprimé directement. Le sujet était resté tabou. Seuls quelques chuchotements parvenaient parfois à briser le silence sur cette grand-mère inconnue.

Il n’y avait plus que cette maison, même si elle avait été rénovée avec goût, elle demeurait intacte à ce qu’elle avait connu. Enracinée dans ce calcaire dominant la Durance, son Mas la tenait debout.


Gilles La Carbona

Il me semble que si je ne t’avais pas connu, j’aurais passé ma vie à te haïr.

Romain Gary, "Clair de Femme"

La nuit étaient des îles. Mes lèvres erraient sur les plages chaudes. Je luttais contre le sommeil, qui est toujours un peu voleur.

Romain Gary, "Clair de Femme"